« Changer en echangeant sans craindre de se perdre. » Edouard Glissant

Alors que sont bien connus du grand public les noms de Zebda et Motivés, celui de Tactikollectif, structure associative toulousaine d’où ont émergé ces projets musicaux, reste souvent dans l’ombre.

Avant même Tactikollectif, c’est d’abord au sein du quartier populaire des Izards au Nord de Toulouse que débute l’aventure, avec la création de l’association « Vitécri » en 1982, qui constituera le fondement des expériences artistiques et citoyennes à suivre. Vitécri pour Vidéo, Théâtre, Écriture, propose des ateliers vidéo, qui donneront lieu à la réalisation de courts-métrages. De l’un de ces petits films, naîtra le groupe Zebda, créé pour les besoins du scénario et appelé alors Zebda Bird. Issus de la génération des marches pour l’égalité de 1983 et 1984, les membres actifs de Vitécri, organiseront de 1991 à 1994 le festival « Ca bouge au Nord » dans les quartiers Nord de Toulouse. Autour d’artistes comme Noir Désir, Mano Negra, Zebda et bien d’autres, mobilisant de nombreux habitant-e-s et militant-e-s des quartiers Nord, ce festival marquera durablement les esprits et sera l’occasion, pour les membres de Vitecri, de rencontrer d’autres militants culturels des quartiers, notamment le collectif Caravane.

Après cette première aventure, l’association Tactikollectif verra le jour en 1997, composée des membres du groupe Zebda devenus artistes professionnels, ainsi que d’autres, tous issus de Vitécri et des quartiers nord de Toulouse.

A travers Tactikollectif, c’est une indépendance de réflexion et d’action qui est recherchée, ainsi que l’intention de placer les questions des discriminations, des expressions des habitants des quartiers populaires, et de l’action culturelle au cœur des préoccupations.

« Motivés, chants de lutte », et autres projets discographiques

L’un des premiers projets de Tactikollectif sera le disque « Motivés » qui remet au goût du jour des « chants de lutte » de différentes traditions (françaises, Catalanes, Kabyles espagnoles, italiennes). Proche des réseaux militants, la structure produira ce disque en collaboration avec la Ligue Communiste Révolutionnaire, avec laquelle ils constatent à l’époque le manque d’appropriation d’un patrimoine artistique accompagnant les nombreuse luttes populaires. Rencontrant un grand succès (200 000 exemplaires vendus), ce projet donnera ainsi à Tactikollectif l’indépendance recherchée, déterminante pour la suite de ses projets.

Ce premier disque sera suivi d’autres, au fil des ans, des rencontres, et des engagements : « 100% Collègues », « 100% Famille », « Il y a un pays… Palestine » ; jusqu’aux plus récents, « Origines Contrôlées, Chansons de l’immigration algérienne », « El Comunero, Chants de lutte de la République Espagnole », ou l’album « Slam d’Oc ».

Parallèlement à ce savoir-faire développé dans la production discographique, Tactikollectif poursuit son parcours atypique et participe pleinement à la vie culturelle, associative et militante toulousaine, se professionnalisant dans l’organisation d’évènements culturels et musicaux, avec notamment les festivals « Ca bouge… encore » en 2001 et 2002.

Le projet « Origines Contrôlées »

Cette ambition se concrétisera dès 2004, avec l’organisation du 1er festival « Origines Contrôlées » à Toulouse, qui mêle de manière originale des rencontres-débats autour de ces problématiques de société, en invitant chercheurs, journalistes, militants associatifs, institutionnels… à échanger sur ces questions, et une programmation artistique pluridisciplinaire populaire et porteuse de sens. Une revue, support pédagogique issu du festival et de ses échanges, a également été créée en 2005 pour participer à la diffusion de ces connaissances. Elle a été publiée jusqu’en 2007.

Le choix est alors de s’appuyer sur les expressions culturelles, les mobilisations collectives issues de l’immigration et des quartiers populaires, autant que sur les apports de connaissances à partir de travaux scientifiques.

Le projet « Origines Contrôlées » s’est enrichi en 2007 d’une production discographique avec l’album « Origines Contrôlées, Chansons de l’immigration algérienne ». Alors qu’est abordée lors du 3e festival la question du patrimoine culturel ainsi que celle de l’histoire politique de l’immigration, c’est en tant qu’artistes que Mouss et Hakim se sont engagés dans le projet du disque, en puisant dans la mémoire familiale. C’est en effet en exhumant les chansons et artistes favoris d’un père mélomane qu’ils arrivent à une sélection de 13 morceaux enregistrés sur disque. Avec cet album, ils revisitent les refrains composés le soir après l’usine par des artistes travailleurs immigrés et célébrés dans les cafés algériens du Paris populaire des années 40, 50, 60, et 70. Loin d’une démarche nostalgique, « Origines Contrôlées » fait revivre ces chansons d’une façon étonnamment actuelle et renouent avec l’idée de transmission.

Parallèlement, le festival poursuit ses propositions d’années en années à Toulouse. En 2013, à l’occasion des 10 ans du festival et des 30 ans de la Marche pour l’Egalité, la ville de Toulouse accueillait en partenariat avec Tactikollectif l’exposition « Générations, un siècle de présence culturelle des maghrébins en France » réalisée par l’association Génériques.

Un véritable succès de fréquentation pour la ville rose, révélant ainsi l’attente sociale sur ces questions.

Le festival « Origines Contrôlées » occupe désormais une place incontournable dans le paysage culturel toulousain, et continue de proposer aux habitant-e-s de l’agglomération cette démarche singulière de croisement entre questions citoyennes et expressions artistiques. Les thèmes abordés sont aussi variés que les intervenants.

En 2012, la démarche « Origines Contrôlées » s’est orientée vers le répertoire féminin de l’exil, avec le projet « Les femmes connaissent la chanson ». En partenariat étroit avec Pangée Network, et sa directrice, l’historienne Naïma YAHI, spécialiste de l’histoire culturelle des maghrébins en France, ce projet a consisté depuis 2011, à la mise en œuvre d’un travail historique et artistique d’identification des artistes, des œuvres, des parcours, du contexte historique ; à la production d’un livret pédagogique et d’une exposition, ainsi qu’à la construction d’une formule de soirée-type autour du patrimoine musical de l’immigration, avec comme axe thématique privilégié les chanteuses de l’immigration.

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