Deuxième manche. Les 7 et 8 Juin dernier, le Tactikollectif et l’ACHAC organisaient à Toulouse des rencontres intitulées « De la mémoire au patrimoine ? », entendant poursuivre la réflexion entamée un an plus tôt à Paris, lors du colloque « Un siècle d’histoire et de mémoire » « Enjeux patrimoniaux de l’immigration et artistiques des outre-mer » (23 et 24 Mai 2017, Institut des cultures d’Islam).
INTRODUCTION
Le point d’interrogation de l’intitulé de ces rencontres toulousaines, rassemblant chercheur.e.s, artistes, responsables institutionnels et associatifs, militant.e.s et journalistes, n’est pas neutre. Car si les échanges ont montré que cette double thématique – la mémoire des cultures des immigrations et leur entrée dans le récit national – s’est fait une place dans les imaginaires ces dernières années, ils ont aussi permis de mesurer le chemin qui reste à parcourir avant que, dans les faits, on passe de la mémoire de quelques un.e.s au patrimoine de tou.te.s.
Si les artistes, à l’avant-garde du combat, enregistrent quelques victoires, elles restent difficiles à conquérir. Dans le champ social et politique, la demande est variable selon les territoires. Et son traitement doit composer avec une conception centralisatrice, un brin archaïque, de l’idéal républicain. Dans ce contexte, la pluralité des acteurs participant au débat est une force. Y compris les institutionnels, qui y tiennent un rôle décisif. Côté militants et acteurs associatifs, la nécessité de collecter, écrire et transmettre son propre récit est réaffirmée avec force. Pour autant, les effets indirects des processus de patrimonialisation doivent eux aussi être interrogés.
« Il y a un besoin de coopération et d’échanges… Ce qui nous intéresse, c’est d’avancer sur la relation entre acteurs de la question culturelle et de la mémoire, acteurs du patrimoine et acteurs institutionnels »
Salah Amokrane, du Tactikollectif, en ouverture de ces rencontres toulousaines.
Les quatre tables rondes qui, en plus des grands entretiens, d’une exposition et d’une projection de film, ont structuré ces rencontres, ont démontré que plusieurs décennies après l’émergence de la thématique dans le débat public, la marge de progression, sur à peu près tous les terrains, demeure importante. [ lire la suite ]
7 & 8 Juin 2018
Conseil départemental de la Haute-Garonne, Toulouse
Rencontres organisées par le Tactikollectif
GRAND ENTRETIEN AVEC AÏSSA MAÏGA : LE RÉCIT D’UNE COLÈRE
Noire n'est pas mon métier
Noire n’est pas mon métier, par un collectif de comédiennes, coordonné par Aïssa Maïga. Ed. du Seuil, Paris 2018.
Le 16 mai dernier, 16 comédiennes et actrices françaises noires, en tenue de gala, levaient le poing sur les marches du festival de Cannes : les auteures de l’ouvrage collectif Noire n’est pas mon métier. Devant le public des rencontres, l’actrice Aïssa Maïga est revenue, jeudi 7 juin, sur la genèse de ce livre dont elle est à l’origine. Mettant des mots sur la question du racisme persistant dans le monde du cinéma et de la télévision française où la représentation des comédien.ne.s racisé.e.s reste très en deça de la réalité sociale du pays.
« Cela fait 20 ans que je suis comédienne et j’ai toujours eu l’impression que la question de savoir quel était le vécu d’une actrice noire en France si elle pouvait susciter l’intérêt des journalistes, manquait d’impact sur le métier ». Un constat engendrant « rage, colère, indignation » mais aussi, au fil du temps, une forme « d’épuisement ». L’actrice s’est alors résolue à « monter sur le ring » pour « obtenir des vrais rôles, sortir des stéréotypes et imposer, quasiment en silence, des figures qui allaient faire avancer la cause de la diversité ». Sortir des rôles d’infirmières et de prostituées si souvent confiées aux actrices noires…
Marquée par l’ouvrage de Sylvie Chalaye, Du Noir au nègre (1998, Ed. L’Harmattan), explorant la figure des Noirs dans le théâtre français depuis 1550, Aïssa Maïga s’est vue, « au début du XXIe siècle, subissant quelque chose de l’ordre du vide mémoriel mais qui se manifestait de façon extrêmement brutale dans les champs de la représentation que sont le cinéma, le théâtre et la télévision ».
Plaidant pour des « politiques volontaristes », et une action « pragmatique avec des solutions hybrides », incluant les quotas, l’actrice pointe une contradiction majeure du cinéma français : alors que les postes de décision y sont « majoritairement tenus par des personnes dont le prisme n’est pas la diversité », les fictions françaises qui s’exportent le mieux sont celles où, précisément, il y a de la diversité. Une réalité contemporaine renvoyant les récits « monochromes » à leur archaïsme et qu’il est urgent, en France, de modifier en profondeur. « Si cette question n’est pas réglée de façon rapide, on court un risque d’explosion », prévient Aïssa Maïga pour qui
« avoir, sur un territoire comme l’hexagone qui n’est qu’un petit bout de terre, autant de diversité de langues, de religions, de vécus, et ne pas s’en saisir, c’est une faute assez lourde. »
Originaire de Dakar, Aïssa Maïga fait son premier long métrage au cinéma aux côtés d’Yvan Attal et Richard Bohringer dans Saraka Bô. Elle devient une actrice remarquée du cinéma français, et se fait vraiment connaître grâce à son rôle dans Les Poupées russes en 2004. En 2018,
Noire n’est pas mon métier consitue un livre-manifeste pour une représentation plus juste au cinéma
L’ouvrage a connu une belle résonance dans les médias et au Festival de Cannes lors de sa sortie en mai.
Ouvrage collectif initié par l’actrice Aïssa Maïga, Noire n’est pas mon métier (éd. Seuil) est un appel à une représentation plus juste de la société française au cinéma, au théâtre, à la télévision et dans le domaine culturel en général. À travers leurs histoires et leurs parcours, seize actrices passionnées par leur métier témoignent du double plafond de verre – racisme et sexisme – qu’elles subissent en tant que femmes et Noires.
GRAND ENTRETIEN AVEC SLIMANE DAZI : LE RÉCIT D’UN INDIGÈNE
Indigène de la nation
Indigène de la nation de Slimane Dazi paru aux Ed. Don Quichotte en 2018.
Le livre commence au service cardiologie de l’hôpital Lariboisière. Il s’achève dans la litanie administrative d’un formulaire égrénant les « documents nécessaires à l’acquisition de la nationalité française ». Entre les deux, entre cette urgence absolue de survivre et cette assignation à une patience humiliante, Slimane Dazi, acteur de cinéma, raconte sa vie. Celle d’un enfant d’immigrés algériens, né à Nanterre en mai 1960, « aîné des garçons de la famille ». Nanterre puis Cachan, puis Paris, les villes où il forgera la part « titi parisien » de son identité. Une autre part s’est façonnée au bled. L’Algérie tant chérie, berceau familial, où au cours de plusieurs voyages, il va devenir « un petit bonhomme » et apprendre à parler la langue, à connaître et à aimer cette autre culture. Des méandres du métro parisien aux « terres brûlantes et herbeuses » de l’ouest algérien, Slimane Dazi galère à l’école, joue au football, rencontre et aime des femmes. Il tient les murs à Bab-el Oued, hante les pistes de danse en Ile-de-France. Il enterre les potes, décimés par la came qui distille la mort dans les cités françaises des années 70/80. Il se marie, divorce. Arpente la France, fait les marchés. Jusqu’à ce que le cinéma débarque, tardivement, dans sa vie et lui offre la reconnaissance via son rôle de Latrache dans Un prophète d’Audiard.
Fil rouge de cet ouvrage, son parcours pour acquérir la nationalité française, toujours pas abouti alors que Slimane Dazi est aujourd’hui, à 58 ans, un acteur français reconnu. Sa faute ? Etre né de parents algériens avant le 1er janvier 1963. Lors de son grand entretien livré en clôture des rencontres, l’acteur a rappellé combien ce statut d’indigène de la Nation lui pesait. Ce livre-récit, qui en témoigne, répond aussi à une promesse : au moment de la sortie du film « Les derniers parisiens » (2017) réalisé par Hamé et Ekoué de La Rumeur, Slimane Dazi, qui y joue le grand frère, avait dit à Ekoué, en parlant de la première génération d’enfants d’immigrés, la sienne : « cette histoire, elle m’appartient, peut-être que je l’écrirai un jour ». Fait. Sans filtre, mais non sans talent.
Révélé par Un prophète de Jacques Audiard et Rengaine de Rachid Djaïdani, Slimane Dazi est une « gueule » du cinéma français. Une forte gueule de titi parisien, une gueule de « métèque » aussi, comme il le dit lui-même. Sa fiche cinéma a beau le présenter comme un acteur français, né dans les Hauts-de-Seine en 1960, Slimane doit encore se battre pour être reconnu comme français.
Le chemin de l’intégration est pour lui, l’histoire d’une « désintégration » qu’il vit avec rage et douleur.
Indigène de la nation (Ed. Don Quichotte, Paris, 2018.) raconte les étapes de cette quête d’appartenance tourmentée en suivant le fil conducteur de l’examen qu’il lui a fallu passer pour prouver qu’il était français, les humiliations endurées quand on est un comédien aimé et reconnu, et qu’il faut prendre le métro que son père aida à bâtir, pour aller prouver qu’on maîtrise la langue et les usages de son pays. Pour quêter le droit d’être considéré comme Français.
Programme
17h30
DISCOURS D’ACCUEIL par le Conseil Départemental de la Haute-Garonne
DISCOURS D’OUVERTURE par Salah Amokrane Coordinateur Tactikollectif
18H00 GRAND ENTRETIEN : Aïssa Maïga
« Noire n’est pas mon métier »
Comédienne et co-auteure de « Noire n’est pas mon métier » Ed. Seuil, 2018.
Animé par Pascal Blanchard
19H00 Visite commentée de l’exposition Artistes & Diversités en France
par Pascal Blanchard Historien, chercheur LCP-Irisso CNRS Université Paris-Dauphine, co-directeur du Groupe de recherche Achac et Naïma Yahi Historienne, chercheure associée, Urmis-Université Sophia Antipolis
20h00 PROJECTION/AVANT PREMIÈRE « Sauvages. Au cœur des Zoos Humains »
Documentaire réalisé par Pascal Blanchard et Bruno Victor-Pujebet co-écrit avec Coralie Miller raconté par Abd al Malik, coproduction : Arte France, Bonne Pioche, Archipel Production France, 2018, 1h30.
9H00 ACCUEIL
9H30-11H15 PATRIMOINE : UNE DEMANDE SOCIALE ?
Animé par Pascal Blanchard
- Malika Boudellal-Bordes Ethno-muséographe
- Samia Chabani Directrice de l’association Ancrages à Marseille
- Frédéric Callens Directeur des ressources au Musée National de l’Histoire de l’Immigration
- Jean-Pierre Besombes-Vailhé Ministère de la Culture / DRAC Occitanie
- Jérôme Bonin Président du Mémorial des nomades de France
- Anne Goulet* Directrice des Archives Départementales de la Haute-Garonne
- Jean-Paul Becvort Directeur de l’Institut d’Études Occitanes
11H15-13H00 RESTITUER, SE RÉAPPROPRIER, RETRANSCRIRE
Animé par Salah Amokrane
- Guillaume Agullo Directeur du Musée Départemental de la Résistance de la Haute-Garonne
- Meziane Azaïche Directeur du Cabaret Sauvage
- Valérie Cottet Directrice des Archives de la Sacem
- Thomas Jimenez Musicien «El communero»
- Rocé Musicien
- Hélène Bertheleu Maître de conférences en sociologie à l’Université de Tours et chercheure au Laboratoire CNRS 7324 CITERES
14H30-16H15 ARTISTES D’AUJOURD’HUI, PATRIMOINE DE DEMAIN: ÉGALITÉ ET DIVERSITÉ
Animé par Frédéric Callens
- James Carlès Danseur, Chorégraphe et directeur du Festival Danse et Continent Noir
- Johanna Barasz Déléguée adjointe à la DILCRA
- NaïmaYahi Historienne, chercheure associée, Urmis-Université Sophia Antipolis
- Jean-Michel Lucas Consultant en politique culturelle, spécialiste des droits culturels
- Lionel Arnaud Chercheur et maître de conférences en sociologie à l’université de Rennes
- Daniel Colling Fondateur du printemps de Bourges, producteur
- Kader Belarbi Danseur étoile, Opéra de Paris et Directeur du Ballet de danse du Capitole de Toulouse
- Ali Guessoum Artiste graphique et Directeur de l’association Remembeur
16H15-18H00 LES ÉCRANS DU PATRIMOINE
Animé par Tayeb Cherfi
- Édouard Zambeaux Journaliste et réalisateur
- Claude Sicre Musicien et Directeur Artistique de l’association Escambia
- Mémona Hintermann-Afféjee Journaliste et membre du CSA
- Zinedine Soualem Comédien
- France Zobda Productrice et vice-présidente de la commission Images de la Diversité, CNC
- Francesca Bozzano Directrice adjointe de la Cinémathèque
18H15 GRAND ENTRETIEN
Animé par Salah Amokrane
Slimane Dazi Comédien et auteur de « Indigène de la Nation » Ed Don Quichotte