« Changer en echangeant sans craindre de se perdre. » Edouard Glissant

Dans le cadre du festival Origines Contrôlées 13e Edition en octobre 2016, nous avons eu le plaisir de laisser la parole à Mourad Benchellali, ancien détenu du camps de Guantánamo. Il a pris le temps de nous expliquer son histoire…

Qui commence par un  voyage en Afghanistan…

« j’avais l’occasion de faire un périple, je voyais ça avec beaucoup de naïveté comme une grande aventure »

Mourad nous remet dans le contexte de l’époque dont nous avons dû mal à nous rappeler – « A cette époque j’avais 18 ans, on est avant 2001 c’est-à-dire qu’Al Qaida, Ben Laden on n’en parlait pas comme on en a parlé après. En tout cas, moi je ne savais pas qui c’était, donc à part les Talibans il n’y avait pas grand-chose à craindre. Le problème c’est que moi je n’étais jamais sorti de ce quartier, les Minguettes et je voyais mon frère faire le tour du monde depuis tout petit, me dire « Mourad tu peux aller en Afghanistan! ». En vérité, l’Afghanistan c’est aussi un pays qui me fascine, mystérieux, bon il avait mauvaise réputation mais ce n’est pas un pays comme un autre, c’est ce qui rendait la chose attirante. »

 

Arrivé en Afghanistan, il est hébergé par des amis de son grand frère qui l’amènent visiter le pays et notamment dans un camps d’entrainement.  « En Afghanistan, on s’est retrouvé dans un camps d’entrainement (…) ces vacances que l’on fantasmaient commençaient à prendre une drôle de tournure. »

 

Son manque d’expérience, sa confiance envers l’ami de son frère et ses difficultés de communication n’aident pas Mourad à comprendre comment se sortir de ce piège. Il comprend seulement qu’il ne partira pas avant les 60 jours obligatoires d’entrainement.

 

Puis le piège se referme « et là on apprends qu’il a eu un attentat à New York revendiqué par un certain Oussama Ben Laden » « Mais c’est qui ? » « l’Imam que tu as vu dans le camps » …

 

Il se fait arrêter par l’armée pakistanaise puis « on vous laisse aux Américains, vous vous débrouillerez avec eux! »

« Ben moi j’étais content », nous raconte Mourad « les américains c’est une bonne nouvelle, les américains s’est une démocratie, ils font voir que je suis français, ils vont m’envoyer en France, c’était plutôt une bonne nouvelle… »

… « On a cette cagoule sur la tête, on ne sait pas où on va. » …

 

Mourad arrive à Guantánamo.

 

Il nous raconte ses deux années passées dans ce camps sans droit…

« On a qu’un seul droit c’est de ne pas avoir de droit. On a aucune information, c’est l’isolement le plus total »

« Les américains utilisent des techniques d’interrogatoires musclés, les organisations des droits de l’Homme préfèrent parler de torture »

Au bout de deux ans et demi, on le renvoie en France en lui expliquant « qu’il y a eu un comité de soutien, des manifestations, ils ont pris des avocats…  »

 » Je suis sorti plus religieux du camps de Guantánamo qu’avant, la religion elle m’a apaisé, l’islam c’est une religion de paix »

Le retour en France ne se passera pas comme Mourad se l’imaginait  … « Je suis dans l’euphorie du retour, je m’imagine des scènes (…) mais évidement ça ne va pas se passer comme ça, ça aurait été trop facile … » A son arrivée en France, il subit le même sort que tout sa famille, il sera emprisonner deux ans pour complicité et association de malfaiteur – puis relaxer « en gros j’ai fait tout ça pour rien! »

« J’avais toutes les raisons pour être fou de rage mais j’ai essayé de prendre du recul , ce n’est pas les gentils d’un côté et les mauvais de l’autre, les choses étaient plus compliquées que ça »

Mourad explique son rapport avec les gardiens du camp « les militaires étaient conditionnés, ils voulaient défendre leur patrie mais quand ils discutaient avec nous, ils voyaient bien que nous n’étions pas des terroristes et que les choses étaient plus compliquées » certains avaient même envie de témoigner à leur retour aux États-Unis, d’ailleurs de nombreux faits ont été rendus publiques sur Guantánamo grâce à des témoignages de gardiens.

 

Depuis maintenant 10 ans, Mourad Benchellali s’est engagé en sillonnant la France pour témoigner, partager son vécu. Il publie un livre en 2006 « Voyage vers l’enfer », réédité en 2016 « Le piège de l’aventure » qui lui permet de partager sur son expérience mais aussi d’être un exutoire personnel.

 

Il fait également de la prévention dans des prisons, dans des écoles et dans des institutions. Cette tâche n’est pas facile, on ne l’a jamais aidé, on lui en a même empêcher parfois car « on est un suspect éternel, quoi que l’on fasse on sera toujours un suspect ».

 

Mourad se positionne contre ce qui se fait en matière de dé-radicalisation en France. Il dénonce l’amateurisme et de l’opportunisme électoraliste autour de tout ça.

 

Les mesures d’exceptions telles que l’incarcération des fichers S ou bien le projet de loi visant à criminaliser le salafisme, ne va rien apporter de positif selon lui. Il explique qu’en incarcérant « par prévention » des innocents vont être arrêtés, ce qui va détériorer la relation de confiance entre le citoyen et l’État plutôt que de l’améliorer.

 « On criminalise des idées ou est-ce que nous démontons ces idées en échangeant avec les gens, en essayant de comprendre pourquoi ils ont ces idées ? »

Mourad Benchellali parle beaucoup des jeunes. Pour comprendre plus facilement les mécanismes qui poussent des jeunes à s’engager pour le Jihad, il explique que l’on peut l’analyser comme une cause. Par exemple, « on s’engage dans l’armée car on veut défendre une cause car c’est valorisant. Il y a également l’effet de groupe ou d’autres raisons… et il y a des jeunes qui peuvent s’engager dans le Jihad pour les mêmes raisons. Comme il y a des jeunes qui s’engagent dans le Jihad comme on s’engage dans l’humanitaire parce que l’on veut aider les autres ou on trouve injuste un conflit »

 

Mourad explique que l’on définit les jeunes qui veulent faire le Jihad comme forcément malades mais on peut aussi se dire qu’ils ont un comportement rationnel.

« Ça n’excuse pas, ça permet juste de faire le bon diagnostic. »

Il faut plutôt essayer de comprendre pourquoi les jeunes sont si vulnérables, pourquoi ils sont si attirés par le Jihad. Est- ce vraiment spontané ? Es ce vraiment un basculement du jour au lendemain ?

Mourad est convaincu « qu’il y a des jeunes qui ne se sentaient pas français depuis longtemps, qu’ils ne se reconnaissaient pas dans les valeurs de leur pays et on peut être converti c’est la même chose ! On peut être un français de souche et estimer que son pays part en vrille ! »

« La question à se poser c’est pourquoi il y a ce vide, qu’est qu’on a fait, nous, pour en arriver là ! »

Il faut également considérer les jeunes « ils sont intelligents, ils n’ont pas besoin que nous leur disions ce qui est bien ou mal par contre on doit leur expliquer des choses pour leur monter que les choses sont plus compliquées, pour mettre de la nuance, qu’ils arrêtent d’avoir cette vision manichéenne entre le bien et le mal. »

« C’est cette complexité que j’essaye de faire toucher du doigt les jeunes mais avec leur propre intelligence »

Rencontre avec Mourad Benchellali _ Son témoignage

Témoignage de Mourad Benchellali

Festival Origines Contrôlées 2016

durée : 37,36′

Rencontre avec Mourad Benchellali _ Questions/Réponses

Questions / Réponses avec Mourad Benchellali

Festival Origines Contrôlées 2016

durée : 33,54′

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